Le chef Joël Robuchon est l’un des chefs les plus importants de sa génération. Détenteur de pas moins de 32 étoiles Michelin, il est le chef le plus étoilé de tous les temps et a toujours été le premier à réussir à standardiser les procédés de la haute cuisine. Aujourd’hui, c’est une chose à laquelle tout le monde aspire, mais il y est parvenu dans les années 1980, un exploit incroyable.
Le chef, décédé en 2018 à Genève d’un cancer du pancréas, est toujours une source d’inspiration pour ses jeunes collègues. Retraçons ensemble l’histoire de cet incroyable chef qui a porté la cuisine française à des sommets difficilement reproductibles.
Joël Robuchon : chef du siècle
Comme on dit : les voies du Seigneur sont inpénétrables. Joël Robuchon est né à Poitiers le 7 avril 1945 et a eu dès son plus jeune âge une vocation fervente, portée par une famille profondément catholique. À seulement 12 ans, il décide de quitter l’école, d’entrer au séminaire de Mauléon dans les Deux-Sèvres et d’entreprendre des études pour devenir prêtre. Pendant son adolescence, il a travaillé côte à côte avec les religieuses et, afin de contribuer à la vie quotidienne de l’église, il a aidé les sœurs à la cuisine. Grâce aux conseils et aux recettes des religieuses, il se découvre une nouvelle vocation beaucoup plus forte : celle de la gastronomie. Il est resté trois ans au séminaire à cuisiner n’importe quoi, mais à 15 ans, il est parti et est revenu à la vie laïque avec un nouvel objectif.
Une nouvelle vie commence pour le jeune Robuchon et la première étape est la pâtisserie du Relais de Poitiers à Chasseneuil en Poitoudal, mais il n’y reste pas longtemps. Une fois sorti de sa coquille, il veut savoir, apprendre, voyager. Il s’arrête après quelques années et pour une seule bonne raison : il rencontre Jean Delaveyne, l’un des fondateurs de la Nouvelle cuisine, véritable mentor de Joël Robuchon.
Il est resté très longtemps chez Delaveyne, jusqu’en 1974, date à laquelle il a reçu une offre qu’il ne pouvait pas refuser : on lui a demandé de devenir chef d’une brigade sans fin de pas moins de 90 éléments à l’Hôtel Concorde Lafayette dans le 17e arrondissement de Paris. Son travail à l’hôtel le consacre et en 1976, il reçoit sa première récompense professionnelle convoitée : le titre de Meilleur Ouvrier de France, un prix décerné directement par le gouvernement français à l’issue d’un examen organisé tous les quatre ans.
L’arrivée de Joël Robuchon au Nikko
Cet honneur a donné un nouveau souffle à sa silhouette et, en 1978, il a changé d’hôtel pour aller au Nikko, où on lui a offert la possibilité d’expérimenter et de « jouer » entre les cuisinières, ce qui était plus difficile au Concorde en raison de sa structure imposante. Robuchon ne manque pas d’imagination et le Guide Michelin lui décerne immédiatement 2 étoiles.
Dans le même temps, il fait son entrée dans la franc-maçonnerie, dans la Grande Loge nationale française, créant pas mal de perturbations pour l’organisation. Sa célébrité a fait connaître cette loge dans toute la France et elle a connu un boom de membres difficile à gérer (ce qui a également conduit à son effondrement en 2011).
Trois étoiles en trois ans
Le Nikko a été son premier véritable pas dans la haute cuisine et à partir de là, il ne s’est jamais arrêté : en 1981, il a ouvert Jamin à Paris, son premier restaurant, et en seulement trois ans, il a reçu 3 étoiles Michelin (une par an, un record). En 1989, Gault et Millau, l’antagoniste de Michelin en France, lui a décerné le prix du « Chef du siècle » aux côtés de Paul Bocuse, Frédy Girardet et Eckart Witzigmann. Ces reconnaissances n’ont pas arrêté l’envie de faire de Joël Robuchon, mais il a légèrement changé la direction de son existence et est devenu de plus en plus un entrepreneur à succès, devenant de moins en moins un chef.
De nombreux restaurants dans le monde
Puis ce fut l’ouverture de nombreux restaurants dans le monde entier : Monte Carlo, Londres, New York, Las Vegas, Tokyo, Hong Kong, Singapour, Macao, Shanghai, Bangkok, Montréal, Genève, Miami, Taipei et bien d’autres encore. Depuis 1995, l’Atelier de Joël Robuchon a fleuri dans le monde entier, notamment parce qu’à l’âge de 50 ans, il a décidé de se retirer de la cuisine pour se consacrer exclusivement à cette activité. Le chef parvient à standardiser ses plats mais surtout sa méthode de travail. La proposition n’est pas la même pour tous : on trouve des comptoirs de sushis au Japon, des bars à tapas en Espagne, des restaurants français et internationaux. Tous ont des éléments communs, dont certains plats historiques du chef aquitain, mais chacun a sa propre personnalité.
En additionnant le tout, on compte 32 étoiles Michelin dans le monde, pour les restaurants sous la houlette de Joël Robuchon, un record toujours inégalé.
Cinq autres restaurants sont en projet entre 2017 et 2018, mais malheureusement, une tumeur pancréatique l’a d’abord affaibli puis emporté, laissant un vide infranchissable dans le monde de la haute cuisine. La célébration religieuse à la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers a vu des dizaines et des dizaines de collègues du monde entier « défiler » pour rendre hommage à un chef qui a véritablement changé la gastronomie à jamais. Robuchon laisse derrière lui une femme et trois enfants : son fils aîné, Eric, est également chef cuisinier, sa fille Sophie tient un restaurant avec son mari, le dernier (né d’une autre mère) a un bar à vin à Bordeaux et un au Japon puisqu’il est franco-japonais.
La cuisine de Joël Robuchon
Quel genre de plats Joël Robuchon sert-il ? En gros, tout ressemble à sa célèbre purée de pommes de terre (un plat contenant jusqu’à un demi-kilo de beurre pour un kilo de pommes de terre). Il y a de la gourmandise, du gras : on en a profité à la table de l’Atelier. Pour le chef, le plus important de tous était la satisfaction des clients, c’était leur faire découvrir la partie la plus enfantine de leur existence.
Il s’est fait connaître dans les années 1980 lorsqu’il a fait revivre sa propre purée de pommes de terre, un plat qui avait pratiquement disparu des grands restaurants. Le succès l’a conduit à expérimenter et à créer son velouté de chou-fleur au caviar et son gratin de macaroni aux truffes et au foie gras.
Le plat qui caractérise le mieux son désir de plaire au client n’est peut-être pas la purée de Joël Robuchon, mais plutôt ses raviolis de langoustines au bouillon de légumes et au foie gras frais. Ce plat fait fureur en France et a été copié par de nombreux autres chefs avec des résultats mitigés. On attribue également à Robuchon la découverte du lièvre à la royale, un plat simple dans ses ingrédients mais difficile à réaliser, qui avait caractérisé toute la cuisine française pré-Nouvelle cuisine.